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Les bottes de mon père :
Mon premier souvenir "botteux" remonte aux années 55-60 , à Unverre, dans le Perche. Mon père était coiffeur et remplaçant à la Poste; il faisait ses tournées à vélo, et dès qu'il pleuvait, il mettait ses bottes : des Baudou noires, non toilées. J'avais entre 5 & 10 ans, et j'aimais beaucoup le voir rentrer, en début d'après-midi. Quand je n'avais pas classe, je l'attendais pour le voir revenir. Je profitais même, certaines fois, de ce qu'il était occupé dans la boutique, pour aller enfiler ses bottes; je m'arrangeais pour que personne ne me voie, ayant déjà le sentiment que je faisais quelque chose de spécial.
Un jour mon père me raconta qu'on lui avait interdit d'entrer dans une ferme parce qu'il avait ses bottes aux pieds alors que le fermier, lui, était en bottes à l'intérieur de la maison! et qu'elles étaient sales. La fermière lui avait dit d'essuyer ses pieds. Alors mon père quitta ses bottes, essuya posément ses pieds, puis remit ses bottes sales, sans entrer dans la maison... Cette histoire m'a marqué pour toujours.
Entre 5 et 10 ans mon frère et moi n'allions pas à l'école en bottes: elle était trop près de notre maison; mais j'avais des camarades de classe en bottes en caoutchouc, surtout l'hiver. Plus de 10 par classe : c'étaient, pour beaucoup, des fils de paysans. Mais à ce moment-là, je n'étais pas particulièrement intéressé. Je devais avoir aussi des bottes en caoutchouc à cet âge-là, mais je ne me souviens plus de quelle sorte.
Plus tard, j'aimais beaucoup mater les nombreux gars en bottes en caoutchouc qui venaient au bar que tenait ma mère et que jouxtait le petit salon de coiffure de mon père.
Mon copain Dominique :
Vers 1962-63, j'avais 12-13 ans, et j'étais toujours à Unverre. J'avais un copain d'école, Dominique. Il avait un an de plus que moi; son père était cantonnier, à l'Équipement. C'est à ce moment que mon père décéda; cela nous rapprocha, Dominique et moi. J'étais souvent invité à venir chez lui. Nous sommes alors devenus vraiment copains. Plus que beaucoup d'ados du village, il portait souvent ses bottes en caoutchouc; même chez lui. Il était au collège et moi à l'école; on ne se voyait que le soir; moi je portais mes demi-Baudou noires pour aller jouer chez lui, dans le grenier.
Souvent, le soir, il allait chercher le lait dans une ferme voisine. Moi aussi, mais dans une autre ferme. Chacun de nous nous mettions nos bottes en caoutchouc. Il passait devant chez moi, il sifflait un coup et j'allais avec lui. Il n'y avait pas forcément de raison de mettre nos bottes, mais je mettais les miennes presque parce que Dominique avait les siennes aux pieds. Nous eûmes alors des jeux innocents, des caresses; derrière chez moi...
Nous ne parlâmes pas vraiment de notre goût commun pour les bottes en caoutchouc, mais nous étions conscients que quelque chose d'inhabituel nous unissait. Même l'été il venait avec ses bottes en caoutchouc. En fait, il les prenait sous le bras, dans un sac, et pour ne pas se faire voir par ses parents, il passait son sac par-dessus le mur. Moi je prenais les miennes et je sortais par derrière. On s'amusait alors, plus loin.
Malheureusement, alors qu'il avait 16 ans, ses parents déménagèrent pour Chartres, où, bien sûr, il les suivit. Il alla au lycée. Il poursuit aujourd'hui une carrière politique locale.
Entre 15 et 18 ans, j'ai longtemps gardé mes bottillons Baudou. Et puis, un jour, alors que je travaillais à l'usine, ma mère les a données à un gars qui venait faire le jardin chez nous. J'étais très frustré, mais en guise de compensation, je matais souvent ce gars quand il bossait dans le jardin avec mes bottes.
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