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LA VIE BOTTEUSE DE RICHARD
Depuis tout petit, j’aime les bottes en caoutchouc. Je me rappelle qu’à l’âge de 4 ans (cette image est restée ancrée en moi), je me trouvais en compagnie de mon père, boucher-charcutier, et de son employé Norbert. Celui-ci était en train de raser des pieds de porc lorsque mon regard se fixa sur ses bottes marron. Je ressentis aussitôt un trouble.
J’inventai alors un jeu qui consistait à mettre le plus possible de boulettes en papier dans les bottes de Norbert qui protestait pour la forme. Quelques années plus tard, Norbert acheta des cuissardes noires, mi-toilées Hutchinson pour travailler à l’abattoir. Je guettais impatiemment son retour depuis la fenêtre de la cuisine. Il arrivait, les vêtements imprégnés de l’odeur caractéristique des animaux morts. Cela m’écoeurait mais j’étais bien vite récompensé, lorsqu’il enlevait ses cuissardes, par l’odeur encore plus forte de pieds et de caoutchouc qui s’en dégageait. De temps à autre, je prenais ses bottes pour marcher dans la rivière, ressentir la pression de l’eau contre les jambes ou j’allais à la remise où étaient stockés copeaux et sciure servant à alimenter le feu pour fumer jambons et saucisses. Là, à l’aide d’une petite pelle, je remplissais ses bottes de copeaux. Lorsqu’elles étaient pleines, je dégageais non sans mal mes pieds et vidais les bottes ; ce petit manège pouvait durer des heures.
A l’école primaire, Michel portait souvent des bottes beige que je lui enviais. Il m’arrivait souvent de suivre ce camarade de classe lors de ses pérégrinations dans le village mais, à mon grand regret, il ne me prêta jamais ses bottes.
Puis ce fut le collège où les fils de paysan portaient souvent des bottes durant la saison hivernale. J’achetai une paire de Le Chameau beige clair pour rejoindre la vingtaine de condisciples en bottes du matin au soir. Après le dîner, je me rendais volontiers au vestiaire, plongé dans l’obscurité, afin de caresser puis enfiler durant quelques secondes des Aigle ou des Baudou qui me plaisaient particulièrement.
Au lycée, une ferme jouxtait l’établissement scolaire. Cela me permettait d’apercevoir les allées et venues de l’agriculteur solidement botté de noir en toute saison. J’étais désireux de voir arriver le troisième trimestre ensoleillé car depuis mon lit, j’entendais chaque matin le fermier se rendant dans le champ voisin pour traire ses vaches. Il était en short et, à chacun de ses pas rapides, le caoutchouc de ses bottes non toilées claquait contre ses mollets nus comme un fouet. Il me semble entendre encore aujourd’hui ce bruit si excitant !
Après le lycée, j’eus l’opportunité d’aller en Allemagne, un été, en groupe de jeunes, dans le cadre d’entraide internationale dans le but de participer à la construction d’une maison de retraite. Par chance, nous sommes arrivés au début du chantier pour réaliser dans la boue les travaux de terrassement puis les fondations. Hans, un ouvrier allemand, me prêta alors ses hautes bottes noires toilées, beaucoup plus grandes que ma pointure mais je retournai le dessus pour qu’elles me tiennent aux pieds. En fin de journée, je plongeais avec délice la main droite dans les bottes pour en retirer sable et gravier ; mes doigts en remontant s’attardaient à effleurer leur paroi tapissée d’un coton rugueux, jauni par des années de travaux salissants et mouillé par ma propre transpiration à laquelle se mêlaient des relents virils d’Hans.
Le service militaire effectué, je revins à la maison. Norbert avait été remplacé par Mathieu, un beau gars de 20 ans aux cheveux bruns. Un soir, alors qu’il était absent, n’y tenant plus, je courus vers le placard où étaient rangées ses bottes, montai dans sa chambre, m’emparai de ses vêtements jetés négligemment sur une chaise, descendis à la salle de bain où je mis, en hâte, sa chemise à carreaux rouges, son jean et ses demi-bottes noires non toilées Baudou (qu’il ne nettoyait d’ailleurs jamais). Aussitôt, je fus submergé de plaisir.
Je passai mes premières années professionnelles dans l’enseignement. Un après-midi, j’eus l’audace de mettre mes bottes vertes Le Chameau pour aller en classe. Craignant de paraître ridicule, je fus accueilli au contraire par les applaudissements de mes élèves de 4ème. En vacances, j’adorais me glisser furtivement la nuit, au clair de lune, dans des baraques de chantier (non sécurisées alors) où régnait une atmosphère moite, imbibée d’un mélange prenant de ciment, d’huile et de sueur. Je repérais alors la paire de bottes d’ouvrier la plus crade, et après avoir reniflé leur puissante odeur, je les enfilais, au comble de la jouissance !
Je possède actuellement 7 paires de bottes et trois paires de cuissardes. Mes préférences vont aux grosses bottes noires d’agriculteurs ou d’égoutiers. Je porte mes bottes le plus souvent possible : pour jardiner, bricoler, me promener, faire des courses ou participer à des réunions. Dans ce cas, je les mets sous le jean, non pas tant par discrétion que pour éprouver la sublime sensation du caoutchouc à « fleur de peau »...
Il est non moins plaisant après avoir travaillé longuement en bottes non toilées, de les retirer à moitié puis de marcher normalement, ce qui provoque, en raison de la sueur accumulée, un agréable bruit de succion qui chatouille et comprime les pieds de façon alternée. Attention toutefois à ne pas trop prolonger cet amusement car un effet répété de ventouse risque de percer vos bottes à la pliure du pied et de la jambe par suite de la trop forte pression exercée sur le caoutchouc. J’en ai fait la mauvaise expérience.
Voilà, il ne manque plus au botteux que je suis qu’une paire de waders mais une vraie paire, en caoutchouc, bien sûr, fleurant bon le…caoutchouc !!!
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