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Pascal Bourcier
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Kihm & Dimey à Troyes, trente ans après (1987)

         Je n’ai connu ni Jean-Jacques KIHM ni Bernard DIMEY. Alors pourquoi donc en parler ? Et de quel droit ? Du droit que me donne ma jeunesse à parler de la jeunesse d’autrui. Du droit que me donne mon indépendance face à ces hommes qui ont existé là où je n’étais pas et quand je n’y étais pas. Du droit enfin que m’inspira cette communion d’âme lorsque le hasard —mais y-a-t-il un hasard à Troyes ?— me plongea dans les poèmes des « deux amis » comme les nomme Françoise BIBOLET.

         Je n’ai jamais rencontré KIHM qu’à travers des impressions et des émotions que je partageais, plus de dix ans après sa mort, sur les lieux mêmes où il vécut d’idylles et d’écritures alors que moi-même je ne parviens aujourd’hui ni aux unes ni aux autres.

         Je n’ai guère retrouvé DIMEY qu’à la suite, en retrait ou, plus exactement, en marge du poète KIHM ou bien encore au hasard d’une chanson reprise par Montand ou Aznavour. C’est qu’en effet tout semble les opposer. L’âge, tout d’abord : Jean-Jacques a huit ans de plus que Bernard ; le physique ensuite : autant Jean-Jacques est froid et maître de ses apparences —jusqu’à son regard dur et sa bouche pincée— autant Bernard sous ses lunettes de myope a la rondeur d’un visage carré, les cheveux touffus et les lèvres généreuses. Le tempérament enfin : toute l’ironie de Jean-Jacques semble réservée, intériorisée, voire secrète à la manière d’un médecin (1) , mais de la richesse insoupçonnée des âmes profondes et cultivées ; la bonhommie franche et ouverte de Bernard s’attire en retour toutes les sympathies et n’a de superficialité que pour qui ne s’y attache pas.


         Or, tels qu’ils sont, tous les deux, en ces années troyennes de mars 1951 à juillet 1956 —date du départ de Bernard pour l’armée—, ils me fascinent, moi le Troyen, leur lecteur de trente-cinq ans plus tard. Je ne me souviens plus du premier jour où je les ai croisés, tant ils font, inconsciemment ou non, partie du paysage culturel troyen si divers et si vivant, alors comme de nos jours. Etait-ce à la Bibliothèque Municipale, la « B.M.T. » , là même où Françoise Bibolet les accueillit en 1951, aussi chaleureusement sans doute qu’elle le fera, trente années plus tard, quand je lui demanderai de consulter les gros romans de chevalerie du XVIème siècle de la « Grande Salle » … Etait-ce du côté du Théâtre qui ne s’appelait pas encore de la Madeleine mais qui faisait déjà dire à Jean-Jacques que Troyes, que l’on donne toujours comme une ville médiévale, avait bien des airs de ville italienne… Etait-ce à travers nos points de rencontre littéraires, Cocteau, Giono, Arland, ou était-ce dans l’une des ruelles de la vieille ville des comtes de Champagne, alors même qu’adolescent encore j’imaginais dans ces quartiers non encore « piétons » d’incroyables récits fantastiques… Je ne sais.


         Toujours est-il que KIHM et DIMEY m'apparurent vite, et bien que morts, comme des êtres de papier, mais de papier vivant; comme des êtres de papier qui vivaient pour leur plume à défaut de subsister uniquement grâce à elle. Comme deux êtres enfin que l'amour de l'écriture et de la lecture rapprocha, jusqu'à les unir. C'est le livre, objet de désir, incarnation du plaisir qui réunit en effet Bernard, Jean-Jacques et Lucien (Habert) avant que ce dernier ne les quitte, dès avril 1951, pour d'autres horizons et une compagne "charmante, exactement de la même manière que lui" (2).

         C'est le livre, objet charnel qui les associe le mieux dans mon esprit, et j'ai toujours en l'âme la fin de ce poème d'amour de Jean-Jacques :

               "Mais c'est ailleurs que tu es là
                Quand j'ouvre un livre dont tu as
                Autrefois corné la page."
(3)

         Mais le livre, c'est aussi cette même passion d'écrire qu'ils partagent tous deux en des styles très différents mais où le vitalisme de l'un se communique à la réflexion philosophique, presque métaphysique, de l'autre, et inversement. On peut lire ainsi une évocation faussement superficielle et badine et réellement pathétique dans ces vers de Bernard DIMEY :

               "Intoxiqué très tôt par le besoin d'écrire, je me suis
                Avancé parmi vous, pas à pas,
                Et l'on m'a regardé comme un énergumène

                Comme un polichinelle au sifflet bien coupé
                Qui savait amuser son monde. [...]
                Mais l'âge m'est passé des sermons de ce genre.
                Je ne dirai pas tout !
                Or, tout me reste à dire." (4)
 

         Et Jean-Jacques, dans un Testament mis en musique par Charles Martin en 1964, publié seulement en 1966 mais qu'il rédigea sans doute inconsciemment tout autant à l'intention de Bernard, qu'à celle de Jean Menaud, annonce, dans une sorte de pressentiment funèbre:

               "Certains soirs tu seras
                Un peu triste peut-être
                Je ne serai plus là pour te consoler

                Alors étreins de tes deux bras
                Le vide
                Que je vais te laisser
                Ouvre l'un de mes livres
                Où j'ai parlé de toi
                Et lis mes vers à la nuit
                A l'ombre
                Aux murs de ta chambre
                Au silence que jamais plus
                Je ne viendrai remuer. [...]" (5)

         A cette époque, tout leur amour est partage, partage de lectures et partage d'écritures. C'est Bernard qui recommande à Jean-Jacques, à la veille de partir pour Nogent en Bassigny, de "travailler pour deux" et c'est Jean-Jacques qui, en 1954, reconnaît, au plus intime de lui-même et à propos de ce gros cahier improvisé "Journal" :

                "Il y a des moments où j'ai l'impression d'écrire dans ce journal uniquement pour que Bernard, à mon insu, puisse y venir lire. Comme une espèce de longue lettre qui n'en finirait jamais." (6)

         Mais la longue lettre s'achève en 1956, après leur rencontre avec Henri B... L'amour rend Jean-Jacques "aveugle" et Bernard, désemparé, accorde désormais sa nouvelle lyre d'Orphée, et s'adonne à la chanson. Ecritures, toujours, mais de voies divergentes et de voix dissonantes...
          Je n'ai jamais rencontré KIHM qu'au travers d'émotions.
              


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(1) KIHM, dans le deuxième tome de son JOURNAL (éd. Rougerie, 87 330 MORTEMART; 1982), rapporte cet incident: "Je couche dans une chambre pleine d'Argentins sympathiques. Ils me demandent si je suis le médecin de mon groupe. Ai-je donc cet air-là ?" (2 juillet 1955; p. 39)
(2) KIHM J.-J., JOURNAL, tome 1 , p. 39. (mardi 10 juillet 1951).
(3) KIHM J.-J., 65 LIEBESGEDICHTE / 65 POEMES D'AMOUR (J.G. Bläschke Verlag, St Michaël, Autriche), p. 10.
(4) DIMEY Bernard, JE NE DIRAI PAS TOUT, pages 163-164; publié à la suite du tome 1 du JOURNAL de J.-J. KIHM (Rougerie éditeur, 1981).
(5) KIHM J.-J., 65 POEMES D'AMOUR (op. cit., p. 136).
(6) KIHM J.-J., JOURNAL, tome 1 , p. 148. (Troyes, vendredi 7 mai 1954).


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